Les chrysanthèmes fanent vite, mais moins que les lauriers

De la fermeture annuelle de l'hippodrome, de poésies sublimes, d'un groupe miraculeux et du salon féministe de samedi

Remarques & Cie
5 min ⋅ 12/11/2025

De la gueule de bois en milieu éditorial

Le podium a été démonté, les citoyens de la République bananière des Lettres tournent présentement au citrate de bétadine, au Doliprane 1000, et compte tenu des ventes, pour beaucoup aux antidépresseurs. C’est que le secteur du livre, cette rentrée, c’est un peu Branlée Magazine. Un observateur extérieur pourrait vous soutenir le contraire, en s’appuyant même sur des chiffres. Sauf que la vérité, c’est que ce qui vend en masse, c’est La femme de ménage et ses suites, la dark romance, et les poids lourds made in le Haut Château et ses écuries affiliées. Avec l’amputation du Pass Culture, même les BD sont en chute libre. Je le constate sur les salons, en librairie, en signature après la perf : même mon lectorat le plus fidèle et motivé n’a plus les thunes pour faire ses courses comme il le souhaite sur ma petite table. Heureusement que j’ai des poches, c’est d’ailleurs pour ça que j’ai fait Phallers directement chez Points féminismes, que le livre soit le plus accessible possible. Le refrain chantonné en mantra salvateur dans toutes les écuries c’est Noël Noël notre sauveur, mais bon, perso je doute que des tonnes de gens se disent Oh un roman sur une emprise qui va jusqu’au viol conjugal, c’est un super cadeau pour ma daronne, courrons donc à la librairie, voire Ma meilleure pote est en couple avec un red-flag sur pattes mettons donc Ils appellent ça l’amour sous son sapin. Néanmoins, j’ai un trrrrès joli cadeau potentiel, ouais ouais, c’est mon Par 64 fois j’y ai cru aux éditions de l’Ogre, avec François Alary. Je vous raconterai un de ces quatre comment le livre s’est fait, là je dois vous parler de plein d’autres trucs.

Une merveille au Castor Astral

Le Castor Astral, c’est ma maison d’édition de poésie préférée depuis quelques années. En mars je sors mon recueil chez eux, quand j’ai reçu la maquette de la couv, j’étais dans le même état que quand j’ai vu celle de mon premier titre chez Fiction & Cie. C’était en 2009, Dans ma maison sous terre. NB tant que j’y suis : la BO du roman signée Aurélie Sfez est intégralement sur mon site, ici-même.

En octobre est sorti chez eux un très beau livre de Joanna Dunis, Les grottes (Excavating Insanity), avec le texte dans les deux langues. Il y a un prologue (traduit à la fin), et cinq livres composés de poèmes aux formes qui varient, retraçant la rencontre de l’autrice avec la folie, le hasard l’amenant à être le dommage collatéral d’une décompensation, si violemment agressée qu’elle aurait dû en mourir. De là va suivre une dentelle spéléologique aux tréfonds de ses propres souvenirs et traumatismes. Je vous recopie le début du prologue :

Je me souviens de tout.

Et quand j’écris ces mots, mon ventre se retourne. La salive s’empile au fond de ma gorge et ma bouche s’achèche dans un même geste. Mon cœur court et tape et frappe et quelque chose à l’arrière de mes yeux s’aliène. Mon front devient froid. Mon crâne est fait de métal dur.

Aussi froid et dur que la civière qu’ils ont glissée sous moi. Aussi froid et dur que mon corps frissonnant de plus en plus vite quand mes pieds mes genoux mes cuisses cédaient à un froid sinistre. Le son de deux pièces de métal qui claquent, cognent. Remplissent le vide de cette chose froide et glacée en moi.

Comme une cuillère en fer-blanc sur une tasse métallique tentant de dire : je suis là -

Tu étais là alors et tu es là aujourd’hui. Bien que tous les ans autour du 16 novembre je me demande encore : c’est arrivé, vraiment? Je bouge mon épaule gauche pour me souvenir. Ressens la douleur qui est toujours là. Et que je chéris finalement. Preuve que tout cela existe. (…)”

Je lirais des extraits de ce livre le dimanche 25 janvier à la Maison de la Poésie, lors de la première cession de ma bulle poétique mensuelle et dominicale qui apparaîtra de 18h à 19h. Vous en saurez plus bientôt, mais réservez le créneau, ça va être bath.

Plus que 64 dodos avant le grand pestacle

La promo du roman est loin d’être finie et le recueil collectif Nullipares, et alors? que j’ai dirigé avec à mes côtés Pascaline Giboz, la directrice de la collection Points féminismes, vient juste d’arriver en librairie. Vaillante comme un poney de petite taille à la crinière fuchsia coiffable, je galope et saute les obstacles, récupère dans le TGV. Le casque vissé sur les oreilles, avec dans le téléphone un seul, unique, album que j’écoute en boucle depuis sa sortie il y a trois semaines. En fait certains morceaux étaient déjà accessibles, j’en ai joué aux Souffleuses pendant les soirées Satan is a bottom où avec Lucette et Fennec Jackal on passe de la musique pas franchement pop mais sur laquelle il est possible de sauter absolument partout. Enfin, la plupart du temps. Je mets aussi de la cold et de la gothique, Fennec des trucs pointus chelous, Lucette des remix rares qui savent faire bouger les jeunes gens. Le fait est qu’on s’amuse bien pendant la fin du monde.

Le nom du groupe, c’est Droges, la contraction de la Drôme et des Vosges. Parce que c’est de là qu’ils viennent, chacun. La France des Invisibles, la diagonale du vide, (“Mes parents n’étaient pas profs ni médecins / J’avais une heure de bus pour aller au lycée/ Mon destin c’était d’aller bosser à la chaîne / Pour une usine qui allait se faire délocaliser” cf Toujours en retard), au creux d’un angle mort sociologique, une population impensée. L’album, c’est Tout ça on crame. C’est également le refrain de leur génialissime Fils de Bourge Crève. (“Je les avais repérés avec Mascu Ferme Ta Gueule, qui s’avérait déjà bien vu et efficace (Devant ton ordi/ tu te sens puissant / Tu te prends pour le mâle alpha (…) Le consentement, t’y comprends rien / et en même temps, ça t’arrange bien’). Et suis tombée en pâmoison avec “Pas d’héritage, pas de loto, Tu seras jamais Jamais Proprio.

La dernière fois que j’ai bloqué comme ça sur un groupe, c’était Gwendoline, des rennais dont le tube du premier album faisait musicalement over penser aux premiers Indochine mais fallait surtout pas le dire houlala. Gwendoline, je vous les vendrais une autre fois, mais sachez que leur deuxième album était ultra frontal. Et que sur la playlist de France Inter, c’est Le sang de papa et maman qui aurait dû tourner plutôt que le juste super sympathique Pinata. Mais bon j’imagine que “ Un poney pour mes 3 ans / Assuré d'avoir des belles dents / J'arrêterai pas l'école à 16 ans / La réussite est dans mon code génétique (…) Faudrait baisser le SMIC / Et supprimer les APL / Faudrait armer les flics / Qu'ils tirent à balle réelle (…) J'ai pas choisi mon camp / C'est le sang de papa et maman”, ça l’aurait pas fait au pays de. Bref, je vais partir là-dessus.

Droges, disais-je. Le cocktail molotov saute effectivement en pleine gueule, parce que les textes sont excessivement lucides, les vannes précisément ciblées, la critique sociale plus efficace que dans n’importe quel récit d’autothéorie. Le portrait de cette jeunesse invisibilisée, on ne le croise jamais dans les musiques actuelles (“Consanguinité musicale qui nécrose les musiques actuelles / Comment vous faites pour ne pas parler du réel? (…) On n’en a rien à foutre que ta copine t’ait largué/ Pendant que Gaza se fait cramer, t’as vraiment que ça en tête hein?” dans Musique Consensuelle). C’est vraiment du post punk à tous les niveaux, en option super drôle.

Ils donnent aussi le Mode d’emploi pour dégonfler un SUV (mais en vrai j’ai pas bien compris l’histoire de la valve et de la lentille, sûrement parce que j’ai pas le permis et jamais observé une roue). Ils vont jusqu’à reprendre Où c’est que j’ai mis mon flingue de Renaud en version électro ultra futée (j’ai pas dit maligne, hein c’est pas des petits malins, c’est des génies), et si vous ne devez en écouter qu’une, ce serait ce merveilleux sketch titré Star Ac (Je pense que je pourrai tenter ma chance / En participant à la Star Academy / Parce que j’aime la compétition musicale (…), qui outre son level lol d’or rappelle en chute leur ligne éditoriale : “On tape pas sur les pauvres / on tape juste sur les bourges et les fachos”. Vous l’aurez compris, c’est mes chouchous de l’année. Et ce qui me fait tenir en ce moment, ma carotte de petit poney à longue crinière coiffable, c’est que le jeudi 15 janvier ils font un concert à la Maroquinerie. Il parait qu’il reste quelques places, alors hop hop si ça vous dit.

Où me voir cette semaine?

Je doute que vous vous posiez spontanément la question, mais samedi 15 novembre à 16h je serai au Salon Délivrées à l’Espace des blancs manteaux, 48 rue Vieille du Temple Paris 4ème. J’ai une rencontre dans l’agora et ensuite je serai sur le stand des éditions du Seuil. Ce serait chouette que quelqu’un se dévoue pour passer : j’ai tellement fait de trucs à Paris que je vois pas tellement qui va venir. J’ai un peu peur de m’embêter.

En librairie :

à bientôt

chloé

Remarques & Cie

Par Chloé Delaume

Chloé Delaume pratique l’écriture sous de multiples formes et supports depuis la fin des années 90. Elle a publié une trentaine de livres, sorti deux albums, présenté des tas de performances, réalisé un court métrage et clip. Citoyenne de la République bananière des Lettres, elle est lauréate du Prix Décembre 2001, du Prix Médicis 2020, a été pensionnaire à la Villa Médicis en 2010-2011, mais tait qu’elle est chevalière des Arts et des Lettres depuis que c’est aussi le cas de Francky Vincent. Dommage, ça faisait chic auprès de ses anciens camarades du lycée de Sartrouville.

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