D'un film à voir des mois après sa sortie, d'un exercice sans chat perché, d'un collectif à paraître au Castor Astral, et de la réédition de l'inclassable Tutu de Princesse Sapho chez Tristram
Tchi-Tcha
J’ai eu besoin de ne rien faire pendant un certain nombre de jours. Rien faire, ça signifie dormir, regarder des films d’horreur souvent bien pourris mais pas que, et ne pas communiquer du tout. À noter qu’Evanouis de Zach Cregger, sorti cette année, c’est vraiment très très bien. En plus la narration est non linéaire. Tous les gamins d’une classe, sauf un, disparaissent simultanément à la même heure au milieu de la nuit. On suit d’abord leur institutrice que les parents d’élèves prennent comme bouc émissaire, jump scare, ambiance chelou, puis hop, autre personnage. La suite vaut grave le coup. Par contre, The Night de Kourosh Ahari (2020), outre sa nullité scénaristique abyssale, m’a légèrement fait dévisser, rapport au fantôme d’un petit garçon qui se révèle être le spectre d’un fœtus avorté huit ans auparavant en cachette par Madame. Pro-life & soft power, une grande histoire d’amour.
Comme chez Delphine et Marinette
Je me suis donc remise d’aplomb pendant que les habitants de la France se gavaient de dinde rôtie farcie aux Lexomil. Bah oui, évidemment. Un Noël en famille au pays du fromage et du féminicide. Ensemble, jouons un peu. Attendu qu’une personne sur six a connu un épisode dépressif caractérisé ces douze derniers mois. Attendu qu’un actif sur dix est en situation de burnout. Attendu que le taux de suicide des personnes de 85-94 ans est de 35,2 sur 100 000, soit près du triple du taux mesuré pour l’ensemble de la population, avec néanmoins huit fois plus de chances de se zigouiller quand on est un homme. Attendu que le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les jeunes, et que les suicides des femmes de moins de 25 ans ont augmenté de 40%. Attendu que 80 % des tentatives de suicides chez les moins de 15 ans sont réalisées par des jeunes femmes. Décrivez brièvement l’état psychique de papa, maman, papy qui cherche une corde, et la petite Léontine en train de se scarifier discrètement sous la table. Ajoutez à présent tonton Jacques qui fait les accents et mamie qui pleurniche que sa cadette ne lui donne pas d’adorables petits enfants qui seraient sa raison de vivre, alors que la pénurie d’eau est prévue par les Nations Unies en 2050. Rédigez les dialogues, puis calculez combien de Xanax, de verres de vin, de joints ou de poutrasses seront nécessaire au personnage principal pour survivre, d’autant que la playlist de tata Jocelyne diffuse All I Want for Christmas Is You de Mariah Carey. À noter que je vous épargne les statistiques liées à papa qui se reboutonne dans l’arrière cuisine et spécifiant à Léontine Ca sera notre petit secret.
Sans transition aucune
Je suis retombée sur cette blagounette de Cioran, dans Le crépuscule des pensées : « Il est des gens si bêtes que si une idée apparaissait à la surface de leur cerveau, elle se suiciderait, terrifiée de solitude. » Cette phrase peut être utile et fait drôlement plus chic qu’un simple Ta gueule connard.
Bientôt, bientôt, bientôt
L’année prochaine va commencer par la sortie d’un collectif : Poèmes à l’usage d’un monde en flammes – 21 voix pour raconter l’époque aux éditions du Castor Astral. Le dernier texte du livre est un poème extrait de mon recueil Sans oublier qu’en plus c’est bien la fin du monde qui sort en mars chez eux. Je suis bien entendu excessivement contente, puisque je me retrouve aux côtés de, entre autres, Zaïneb Hamdi, Noah Truong, Rim Battal, Karim Kattan, Liliane Giraudon, Lisette Lombé, Stéphanie Vovor, Héloïse Brézillon qui m’a scotchée la semaine dernière à la soirée Sales connes du bar Furie avec un nouveau texte qu’elle performe comme une queen, et mon auteurice d’amour for ever Alex Tamécylia. Je rappelle qu’Héloïse Brézillon sera sur la scène de la Maison de la Poésie dimanche 25 janvier à 18h pour la première session de Chloé Delaume présente, aux côtés de Luz Volkmann et Philippe Savet. Je lirais aussi des poèmes choisis. Soyez choupis, réservez ici, et surtout, oui : venez. Parce que c’est quand même chouette, une heure de poésie le dimanche, et en plus il fait chaud et on est bien assis.
Des nouvelles et une digression
J’ai annulé des tonnes de trucs pour avoir du temps d’écriture durant le mois de janvier. Je vais passer ma nuit au Musée d’Art et d’Histoire de l’Hôpital Sainte-Anne, face au Plancher de Jeannot, et pouvoir me mettre sur Papa debout dans le couloir en mode tunnel. C’est donc pour Ma nuit au musée, la collection de Stock. En attendant j’avance en parallèle sur mon autre projet qui sera au Seuil, le roman sur la voyante Maud Kristen et les arts divinatoires comme outil d’émancipation. Je viens de finir le deuxième chapitre, et surtout, youpi², j’ai enfin trouvé le titre. Je ne peux pas avancer tant que je n’ai pas mon titre, c’est comme ça depuis toujours. Ce qui fait que je les trouve toujours très tôt, mes titres. Sauf pour Le cœur synthétique, j’avais prévu de l’appeler Les adieux d’Aphrodite, bah oui, Les adieux d’Aphrodite, le pire c’est que je trouvais ça pas mal, pas dingo non plus, mais pas si mal. Heureusement que Bernard Comment, mon éditeur depuis 2008 qui mérite d’être canonisé, m’a gentiment fait remarquer que les références grecques j’avais peut-être assez donné, entre mes premiers livres et le contenu des Sorcières de la République. Parce que Les Mouflettes d’Atropos, Monologue pour épluchures d’Atrides, Narcisse et ses aiguilles : ok ok oui mais hein bon. Donc finalement j’ai cherché un truc qui sonnerait comme un 45 tours des années 80, Le cœur synthétique, hop hop. Je réalise que le titre de mon roman autour de la voyance, je ne vous l’ai pas donné, du coup. Je vais carrément reprendre ma devise, c’est un peu long, mais ça colle parfaitement : Le hasard n’existe pas alors autant s’organiser.
Un mystère dans la bibliothèque
Dans la mesure où je n’ai fait que dormir et regarder des films d’horreur en ricanant de mes propres sursauts, je ne peux pas faire de reco sérieuse. Mais je peux vous parler d’un livre déjà disponible aux éditions Tristram dans un format poche, dont je dois écrire la préface de la cinquième réédition : Le Tutu de Princesse Sapho. Pour vous la faire courte, en 1891 ce texte totalement improbable est apparu dans le catalogue de Léon Genonceaux, soit l’éditeur de Rimbaud et de Lautréamont. Mais il n’a jamais été jusqu’à être disponible en librairie, l’éditeur étant alors dans la tourmente. Il aurait pu totalement disparaître : il a été retrouvé par Pascal Pia dans les années 1960, la première fois que Le Tutu est cité c’est en 1966 sous sa plume dans La Quinzaine Littéraire. Il est, comme tout ceux qui l’ont lu, complètement halluciné par ce roman hybride hautement barré, qui tient des décadents fin de siècle, d’Alfred Jarry et de Raymond Roussel, avec des citations des Chants de Maldoror dedans. Un truc si singulier dans sa forme et si outrancier dans sa trame narrative que le terme « inclassable » s’impose systématiquement.
Le pitch : Mauri de Noirof, un dandy excentrique, épouse une riche héritière obèse et alcoolique, engrosse une femme à deux têtes qui se produit dans des cirques, devient député, puis ministre de la Justice, tout en lisant du Lautréamont à sa mère, avec qui il partage des festins composés de morceaux choisis sur des corps servant à l’école de médecine.
Il faut attendre pile un siècle après sa parution avortée pour que les éditions Tristram le publie en 1991. Je suis tombée dessus un peu après, quand j’étais à la fac. Je venais de passer mon année à essayer de me supprimer chaque trimestre, mon mémoire sur la ‘Pataphysique sur Boris Vian en était toujours au plan archi détaillé, le rédiger ne m’excitait plus, je me suis réinscrite en voulait faire du Tutu mon sujet de Maîtrise, aujourd’hui on dit Master, comme maintenant Raider c’est Twix. Absolument aucun prof de Lettres Modernes dans tout Paris X n'a accepté, tous étaient persuadés que le texte était un faux, de Pascal Pia en personne. Faut dire que Pascal Pia avait déjà commis des faux d’Apollinaire, de Baudelaire et de Radiguet. En plus il avait préfacé, et donc rendu crédible le fameux faux de Rimbaud, La Chasse spirituelle en 1949.
J’ai communiqué avec Sylvie Martigny et Jean-Hubert Gaillot, les éditeurs de Tristram, pour obtenir des preuves de l’authenticité du manuscrit. Mais les profs de Nanterre ne voulaient pas se mouiller, d’autant que cette Princesse Sapho, personne ne savait qui c’était, même pas Jean-Jacques Lefrère. Le texte n’ayant pas de filiation, il flottait trop, comme un OVNI, l’image de l’OVNI je m’en souviens, un directeur de mémoire potentiel m’a recadrée par un « Vous êtes inscrite en Lettres Modernes, pas en Maîtrise d’ufologie ». Résultat j’ai lâché la fac et je suis allée bosser dans un bar à hôtesses en écrivant ce qui donnerait un peu plus tard Les Mouflettes d’Atropos, cette pleutrerie universitaire m’ayant considérablement soulée. Mine de rien, je viens de faire une partie du brouillon de ma préface, comme quoi, comme je le pensais en la lançant, elle m’est utile, cette newsletter. Par contre, celle-ci n’aura pas de chute. C’est que je dois vraiment l’écrire tout de suite, cette préface, elle devait être rendue aux éditeurs la semaine dernière. Parce que j’ai beau faire la maligne, au fond je fais pas toujours ce que je veux.
à bientôt
chloé
Extrait de Par 64 fois j’y ai cru, aux éditions de l’Ogre, avec François Alary.
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