Du potentiel de "sales connes", de l'histoire du mot queer, d'un recueil de poèmes et des dates à venir
De la naissance potentielle d’une catégorie de plus
Jeudi 18 décembre, au bar Furie, 58 rue Trousseau dans le 11e à Paris, c’est scène ouverte Sales connes. Je ne vais pas vous ressortir les étymologies et les connotations, le taf a été bien fait spontanément partout, « sales » et « connes », vous les avez. Ce qui m’occupe c’est plutôt la question de la réappropriation de l’insulte. Le langage est toujours un enjeu de pouvoir, et il a une puissance performative. On tient peut-être un truc, si ça se trouve.
D’un exemple parallèle
Prenez le mot queer. En Angleterre au 16e siècle, ça voulait dire bizarre, étrange ; l’expression familière du Nord du pays « There’s nowt so queer as folk » : « Il n’y a rien d’aussi étrange que les gens eux-mêmes ». Fin XIXe, queer devient une insulte homophobe, d’étrange on passe à tordu, déviant. Le terme devient excessivement péjoratif, on le trouve pour la première fois en 1894 sous la plume du neuvième Marquis de Queensbury, John Sholto Douglas. Il pratiquait la boxe, le divorce et l’athéisme, ce qui n’en faisait pas une figure populaire au sein de la haute société londonienne.
Ainsi s’en vient une bien belle histoire de Mère Castor
Le Marquis avait cinq enfants, dont Francis et Alfred. Francis était le secrétaire privé de Lord Rosebery, et également son amant. Il est mort en 1894 dans un « accident de tir », mais la possibilité d’un suicide restait entière. Pour le Marquis, Francis avait été corrompu par des « snobs queers comme Rosebury », c’est sa déviance qui lui avait été fatale. Le « snob queers like Rosebery », le Marquis l’écrit à Alfred, c’est à lui que s’adresse cette lettre. Le Marquis sait qu’Alfred entretient depuis 1891 une relation amoureuse avec Oscar Wilde. Il a vainement tenté de les séparer plusieurs fois.
En février 1895, il remet au portier d’un club où traîne Wilde sa carte de visite avec ce mot : « For Oscar Wilde posing as Somdomite », « Pour Oscar Wilde s’affichant comme sodomite », à noter que l’ajout du m a dû plaire à Lacan. Oscar Wilde fait alors l’erreur monumentale d’intenter au Marquis un procès en diffamation, qu’il perd suite à un bon mot qui le confond pendant le procès. L’avocat du Marquis lui demande s’il a « embrassé » un jeune domestique d’Alfred, Wilde fait le mariole : « Oh non, jamais, jamais ! C’était un garçon singulièrement quelconque, malheureusement très laid, je l'ai plaint pour cela. ». C’est comme ça qu’Oscar Wilde a écopé de ses deux ans de travaux forcés, avec ses biens confisqués pour payer les frais de justice.
Du retournement du stigmate
Le mot queer, quant à lui, traverse l’Atlantique, et au début du 20e siècle tient lieu de violente insulte homophobe. Le terme est rapidement récupéré par les gays eux-mêmes, qui le réinvestisse, queer devient « différent », voire « spécial ». Dans les années 20 et 30, les homosexuels anglophones en changent le sens : les queers s’opposent aux « fairies », efféminés. Le queer est discret et respectable. Puis le mot tombe en désuétude dans les années 60 et 70. C’est en 1990 qu’il revient, avec Queer Nation et son manifeste Queers read this.
Extrait
« Oui, bien sûr, ‘gay’ c’est très bien. Le mot a sa place. Mais quand les lesbiennes et les hommes gays se réveillent le matin, nous sommes en colère, dégoûtés, pas gay. Alors on a choisi de nous appeler nous-mêmes queer. Utiliser ‘queer’ c’est une manière de nous rappeler comment nous sommes perçus par le reste du monde. C’est une manière de nous rappeler que nous n’avons pas à être charmants, rusés, et cacher nos vies, rester marginalisés dans un monde hétéro. Nous utilisons queer pour parler d’hommes gays qui aiment les lesbiennes et des lesbiennes qui aiment être queer. Queer, contrairement à GAY, ne veut pas dire MÂLE. ».
Le parcours du mot queer, la suite, on la connait. Rebondissons donc sur « sales connes ».
Des mérites d’une insulte qui a du potentiel
« Sales connes » est une insulte de catégorisation, la première Dame du pays du fromage et du féminicide ayant ainsi qualifié des féministes en action. Attendu qu’il est possible de changer le signifiant des insultes de catégorisation, et à terme, leur sens, se pencher sur le potentiel de l’expression pourrait s’avéré bienvenu. Une sale conne, c’est une féministe qui se dresse ouvertement contre les acteurs et les agents du patriarcat. Avouez que c’est vachement plus réutilisable que leur fameux Féminazies, dont on ne pouvait vraiment rien foutre. Aussi je préconise, surtout dans les repas de famille à venir, entre la dinde, le tonton raciste et la bûche, l’autodésignation. En mode tranquille le chat, Mais enfin vous savez bien que je suis une sale conne, ça devrait faire son effet.
En attendant, jeudi, avec Aurélie Olivier, Solène Planchais et Isabelle Daude, on lira des textes de sales connes. Pour ma part, ceux issus de mon recueil qui sort en mars au Castor Astral.
Un recueil poétique qu’il vous faut acheter
Ça peut faire un joli cadeau, c’est aux éditions Blast et ça coûte douze euros. De dahlias et noyades, d’Esther Morand Khiabani. Tout y est beau et doux, ça évoque l’amour et l’absence, et moi qui ne suis pas très fan de la poésie persane, à cause de la nature et des animaux dedans, la façon dont l’autrice s’en inspire m’a vraiment touchée.
« Ecrire le poème
est ma manière d’allumer un cierge
là où manque une église à ma croyance
J’écoute aux portes
et fais le mur des chambres
pour ne rien délaisser
À l’oreille je viens te dire demain
nous ne serons plus
ni citrons ni saules
ni coquelicots châtaignes
ou quelconque chardon
ne sauvent le bruit des hanches
me reste l’intimité de t’offrir
à chacune des saisons sa pensée assortie
J’écoute aux portes
et fais le mur des chambres
Planté là dans ma tête un jardin
semé d’arbres fruitiers
et un nom qui les borde
J’allume un cierge
Dans la bouche de celui qui parle seul
il dit demain
nous ne serons plus
tu es sur le bout de ma langue
ce qui glisse sous son regard
j’allume un cierge et fais le mur des chambres
j’écoute
ce reste de rumeur qui me fait encore tienne”
Rendez-vous à venir
Lundi 15 décembre, je serai à la Maison-poème de Bruxelles, je discuterai avec Joëlle Sambi de Ils appellent ça l’amour.
Vous pouvez réserver vos places à la Maison de la Poésie de Paris pour la première cession de Chloé Delaume présente, dimanche 25 janvier à 18h, en cliquant ici.
à bientôt
chloé
En librairie